Je vous ai présenté il y peu le ruling-pen américain, mon outil chouchou pour la calligraphie moderne (d’aucuns l’appellent d’ailleurs « mon précieux » !). Aujourd’hui, cap sur la calligraphie gestuelle, car c’est l’essence même de la calligraphie moderne.
La rigueur, le respect et la répétition quasi monastique des modèles d’écriture anciens rythment souvent un parcours calligraphique. L’objectif dans l’apprentissage sera maîtriser au mieux ces modèles historiques afin de les exploiter ensuite dans des compositions ou des petits projets personnels. Ces derniers temps par exemple, je travaille souvent sur la capitale romaine et je noircis des pages pour m’exercer. Un peu crispant à la longue, mais nécessaire.
La gestuelle, c’est le sas de décompression, la grande ouverture, où la rigueur va laisser place à la liberté et à l’expressivité. C’est un peu comme quand on vous retire les roulettes du petit vélo et que vous partez direct en roue avant. Mais attention, on ne fait pas n’importe quoi pour autant ! Cela reste de la calligraphie, pas la fête à neuneu.
Qu’est-ce que la calligraphie gestuelle ?
La calligraphie gestuelle apparaît au xx siècle du travail de calligraphes qui s’affranchissent peu à peu du carcan des écritures historiques. Leur travail explore le geste, le trait et le contraste, qui donnera toute l’expressivité et la puissance à la lettre et par extension, aux mots.
L’écriture est dite « gestuelle », car elle est en prolongement du corps (et de l’esprit) du calligraphe. Tout réside dans la dynamique du trait et le rythme de l’écriture. Pour parvenir à cette dynamique, on mobilisera davantage les bras et le haut du corps. Les anglo-saxons parlent aussi de « off hand » calligraphy, pour désigner ces gestes tracés à bras levé.
En prolongement de l’esprit aussi, car le geste demande beaucoup de concentration et d’anticipation. Votre état (stress, fatigue, colère, joie…) est aussi tout à fait perceptible dans l’écriture.
Une calligraphie abstraite ?
Très graphique, la gestuelle prend parfois des allures de graffitis, de traces jetées çà et là dans une sorte de chaos illisible. Mais il ne faut pas s’y tromper, les grands maîtres de la gestuelle contemporaine sont avant tout des calligraphes chevronnés qui ont une parfaite maîtrise des écritures originelles. D’ailleurs, la gestuelle n’est pas nécessairement illisible et ne se limite pas aux traits ou aux signes. Elle réinterprète souvent les écritures historiques de façon moderne.
Les outils et les mediums de la gestuelle
Les outils de la gestuelle sont variés voire infinis puisque l’idée est d’explorer aussi tous les champs possibles : plumes larges, plumes fines, pinceaux, calames, automatic pen, ruling pen, cola-pen, light-graph, stylos, pointes, aiguilles à tricoter … En théorie, on peut tout essayer. En pratique aussi, car il est intéressant d’expérimenter différents outils, mediums et supports pour explorer le plus de possibilités.
Comment apprendre la calligraphie gestuelle ?
Si vous souhaitez apprendre la gestuelle, je ne saurais que trop vous conseiller de le faire sous l’égide d’un calligraphe. Cours et stages sont régulièrement proposés par les associations de calligraphie, et sont également l’occasion de faire de belles rencontres.
Pourquoi apprendre avec un calligraphe ?
Un calligraphe saura vous proposer des exercices avec une vraie méthode et une progression pédagogique éprouvée. Il saura également vous montrer les bons gestes, les bonnes postures, analyser votre travail, vous apporter des conseils. Si ceci est vrai pour l’apprentissage de la calligraphie en général, je l’ai ressenti plus fortement pour la gestuelle. En effet, autant apprendre l’anglaise avec un livre est possible ( même si cela demande une somme de travail), autant je trouve qu’il est très difficile de reproduire un modèle de gestuelle sans… voir le geste, en fait !
Donc si vous pouvez vous offrir un petit stage, c’est à mon sens tout bénéfique ! Je sais qu’à l’heure du DIY, du e-learning, des vidéos sur Instagram et Youtube, mes propos peuvent sonner un peu bizarres, mais c’est un conseil honnête.
Peut-on apprendre la gestuelle sans avoir de bases en calligraphie ?
Je dirai que oui, mais cela aide d’avoir une connaissance des écritures historiques, notamment la Chancelière. En effet, avec un petit bagage en calligraphie, on comprend mieux les différentes composantes de la lettre et surtout leur structure. De plus, on a déjà abordé les notions de forme/contre-forme et le travail du trait. Cela permet de mieux s’embarquer dans la gestuelle.
Les premiers pas en gestuelle : travailler des rythmes abstraits
J’ai commencé la gestuelle lors d’un stage de 4 jours chez Marine PSM en 2016. La première journée a été consacrée à ce travail sur le trait, avec le ruling-pen.
Et pendant une bonne partie de la matinée, nous avons tracé des traits, et créé du rythme.
Peu à peu le rythme se pare de boucles ascendantes et descendantes, ressemblant à des lettres.
Ce qui est compliqué dans l’apprentissage de la gestuelle, c’est que l’on commence par totalement oublier l’écriture pour se concentrer sur le trait. Ce n’est pas évident au premier abord, surtout quand on a passé des semaines à faire de belles lignes bien proprettes en suivant des ductus ! J’ai trouvé que c’était une approche très mentale mais aussi très physique. Il faut à la fois libérer son corps des tensions, libérer son geste, tout en conservant un trait dynamique et expressif. Pas de place pour la mollesse ou pour l’hésitation, cette écriture très spontanée à l’œil est en fait très réfléchie.
Variation des outils
En stage, nous avons exploré d’autres outils pour écrire, notamment le feutre à pointe conique (Crayola), le feutre pinceau (nettement plus délicat) et la plume fine.
Pour le moment, c’est encore avec le ruling-pen que je me sens le plus en confiance. C’est vraiment un outil génial, qui permet de jouer sur la graisse de la lettre en fonction de l’angle d’attaque. Il permet aussi de faire de belles éclaboussures bien trash, qui amènent encore de la dynamique à la lettre.
Quelques ressources pour aller plus loin
Des approches artistiques différentes
Je ne peux pas citer tous les artistes dont j’admire le travail, mais voici quelques approches différentes et magnifiques de la calligraphie gestuelle.
Denise Lach a énormément travaillé l’expressivité, le trait et le contraste dans ses « jeux d’écriture« . Son travail est très graphique, souvent en noir et blanc.
Claude Mediavilla a exploré la gestuelle jusque dans l’abstraction. Il a également énormément travaillé les écritures historiques en gestuelle, au pinceau, à la plume, au calame… Ses travaux en chancelière gestuelle font rêver !
Marine Porte de Sainte-Marie a une gestuelle dynamique et pleine de peps, marquée par beaucoup de légèreté, de féminité et d’élégance. Elle privilégie la lisibilité à l’abstraction, et son écriture exhale tout le sens et la poésie des mots.
Je vous invite aussi à voir le travail d’Agathe Richard (Lettres Vagabondes), dont les derniers tableaux mettent en scène gestuelle et techniques mixtes.
Enfin, cette petite vidéo de David Lozach montre bien ce travail du geste, et la mobilité du bras lors de l’exécution des lettres.
https://youtu.be/PC7Vstj2260
Vous pouvez découvrir d’autres ressources ou artistes dans mon tableau Pinterest consacré à la calligraphie moderne.
En conclusion
Il ne faut pas avoir peur de se lancer dans la gestuelle, vous prendrez beaucoup de plaisir explorer les possibilités infinies qu’elle offre. La gestuelle, c’est génial et grisant parce que :
- C’est vraiment « calli »+ »graphique »
- C’est moderne
- C’est extrêmement expressif
- Elle se marie très bien avec les écritures historiques
- Ça vide la tête et ça défoule
J’espère que cet article vous a fourni un bon éclairage sur la calligraphie gestuelle. N’hésitez pas à commenter et poser vos questions,
Véro
Merci pour ce partage .. encore bravo pour ce bel article ….Bonne soirée!
Merci Roni !
Super cet article Véro, ça me donne envie d’en faire 😂
Je n’avais jamais vu cette vidéo de David, c’est toujours un bonheur de le voir écrire. Je suis d’accord avec toi, le fait de voir le geste apprend beaucoup, énormément, même. C’est ondamental, en fait ! Et Merci de m’avoir citée ! 😘
Je ne doute pas que tu vas avoir l’occasion d’en faire prochainement 😉 Tu en fais tous les jours d’ailleurs, non ? 😘
Négligemment coincée là entre Lozach, Marine et Médiavilla, j’adore. Sérieusement, super article, du beau boulot. C’est une écriture qu’il est compliqué d’apprendre sans un bon prof.
Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt l’article sur la gestuelle,je confirme que débuter cette écriture avec un calligraphe me semble indispensable,
J’ai fait un premier stage avec David Lozach, que du bonheur!!!
J’ai fait un second stage avec Corrie Cameron, elle a le don de faire travailler la gestuelle en partant d,une chancelière « basique «
je me permets de la citer car je trouve qu’ elle est souvent oubliée lorsqu’on parle de gestuelle,
et c’est bien dommage,
je la compare un peu à David, du point de vue gentillesse,disponibilité,comme David, elle n’hésite pas à faire LARGEMENT partager ses connaissances
Cordialement
Bonjour Christiane,
Merci beaucoup pour ce retour sur votre propre expérience avec David Lozach et Corrie Cameron. Il est difficile de citer des références, je le fais rarement, pour ne frustrer personne. Je n’ai pas pu assister au stage de Corrie Cameron à l’Esperluette fin 2017, mais j’aurais en effet adoré aborder avec elle la chancelière « en toute liberté ». Peut-être le re-proposera-t-elle dans le futur… Très bonne journée, à bientôt !
Bonjour Véro, bonjour Christiane, pour votre information: « chancelière en (presque) toute liberté » est programmé par l’Association Atelier-Calligraphie le week’end du 4/5 avril 2020. Un ami-calligraphe a lu – aujourd’hui et par hasard – votre échange sur ce thème……